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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/400

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la pauvreté de la littérature allemande ; il avait détruit impitoyablement mes préjugés ; je ne voyais plus dans le ciel de ma patrie qu’un petit nombre d’étoiles marquantes, car il traitait toutes les autres de lueurs passagères ; il avait même tellement réduit ce que je pouvais attendre et présumer de moi, que je commençais à désespérer de mes forces. Toutefois il m’entraînait en même temps sur la route large et belle qu’il se disposait lui-même à parcourir ; il attirait mon attention sur ses auteurs favoris, parmi lesquels Swift et Hamann étaient au premier rang, et il me secouait plus fortement qu’il ne m’avait abaissé. À ces diverses causes de trouble venait s’ajouter une passion naissante, qui, en menaçant de m’absorber, pouvait bien me distraire de cette situation, mais non me la faire surmonter. De plus, je souffrais d’un mal corporel : après le repas, je me sentais la gorge comme étranglée, et je ne fus délivré de cette gêne que plus tard, mais très-aisément, en renonçant à un vin rouge que nous buvions d’ordinaire et très-volontiers dans notre pension. Cette incommodité insupportable m’avait aussi quitté à Sesenheim, en sorte que je m’y trouvais doublement heureux. Quand je retournais à mon régime de la ville, elle revenait aussitôt, à mon vif chagrin. Tout cela me rendait rêveur et morose, et mon extérieur répondait sans doute à l’état de mon âme.

Plus chagrin que jamais, parce que mon mal m’avait pris violemment en sortant de table, j’assistais au cours de clinique. La sérénité, la bonne humeur, avec laquelle notre maître vénéré nous conduisait d’un lit à l’autre, son exacte observation des symptômes marquants, ses jugements sur la marche générale de la maladie, sa belle méthode hippocratique, par laquelle, sans théorie, se développaient de son expérience propre les formes de la science ; les discours par lesquels il terminait d’ordinaire ses leçons : tout cela m’attirait vers lui, et me rendait plus cher et plus intéressant un domaine étranger, dans lequel je ne portais la vue, pour ainsi dire, que par un jour dérobé. Mon horreur des malades diminuait insensiblement, à mesure que j’apprenais à transformer ces situations en idées, par lesquelles apparaissaient comme possibles la guérison, le rétablissement de la figure et