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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/408

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perstitieux, étaient évanouis, et, quand l’occasion se présenta d’embrasser tendrement ma bien-aimée, je n’hésitai pas, et je me refusai moins encore la répétition de ce plaisir.

On attendait la musique, et ce désir fut enfin satisfait ; elle se fit entendre et tout le monde courut à la danse. Les allemandes, les valses, furent le commencement, le milieu et la fin. Tous étaient exercés à ces danses nationales. De mon côté, je fis assez honneur à mes secrètes institutrices, et Frédérique, qui dansait comme elle marchait, sautait et courait, fut charmée de trouver en moi un cavalier très-exercé. Nous dansâmes presque toujours ensemble, mais nous dûmes bientôt nous arrêter, parce qu’on l’exhortait de toutes parts à ne pas s’échauffer davantage. Notre dédommagement fut une promenade solitaire, la main dans la main, et, dans la place secrète, l’embrassement le plus tendre et la plus fidèle assurance d’un ardent amour.

Les personnes âgées, qui avaient quitté le jeu, nous entraînèrent avec elles. Pendant la collation du soir, on ne se posséda pas davantage. On dansa fort tard, et les santés, comme les autres invitations à boire, firent aussi peu défaut qu’au dîner.

J’eus à peine dormi quelques heures d’un profond sommeil, qu’un sang échauffé et bouillonnant m’éveilla. C’est dans ces heures et ces situations, que le souci, le repentir, ont coutume de saisir l’homme, couché sans défense. Mon imagination me présenta soudain les plus vives peintures. Je vois Lucinde, après le plus ardent baiser, s’éloigner de moi hors d’elle-même ; les joues brûlantes, les yeux étincelants, elle prononce l’imprécation qui semble ne menacer que sa sœur, et par laquelle, sans le savoir, elle menace des femmes étrangères, innocentes. Je vois Frédérique devant elle, glacée d’horreur à son aspect, pâle, et ressentant les suites de cette imprécation qu’elle ignore. Je me trouve entre elles, aussi peu en état de prévenir l’effet moral de cette aventure, que d’éviter ce baiser, présage de malheur. La santé délicate de Frédérique paraissait hâter le mal dont elle était menacée, et maintenant son amour pour moi me semblait funeste : j’aurais voulu être bien loin. Mais je ne veux pas dissimuler ce qu’il y avait encore de plus douloureux pour moi au fond de tout cela. Une certaine vanité entretenait chez moi