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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/444

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me séduire de temps en temps. Ma mère, plus clairvoyante, sentit combien il paraîtrait bizarre à mon père de voir un musicien, coureur de foires, sortir d’une maison respectable pour aller dans les auberges et les cabarets gagner son pain ; c’est pourquoi elle lui procura dans le voisinage un logement et une pension ; je le recommandai à mes amis, et l’enfant ne s’en trouva pas mal. Je le revis plusieurs années après. Il était devenu gros et grand, sans avoir fait beaucoup de progrès dans son art. La bonne mère, satisfaite de son premier essai de conciliation et d’accommodement, ne songeait pas qu’elle aurait prochainement grand besoin de cette adresse.

Mon père, qui menait une heureuse vie, livré à ses fantaisies et à ses occupations surannées, était satisfait, en homme qui poursuit ses plans malgré tous les retards et les obstacles. J’étais reçu docteur ; le premier pas était fait pour suivre désormais de proche en proche le cours de la vie civile. Ma thèse avait eu son approbation ; il s’occupait à la revoir, avec plus de soin, à en préparer la publication. Pendant mon séjour en Alsace, j’avais écrit beaucoup de petites poésies, de mémoires, d’observations de voyage, et bien des feuilles volantes : il s’amusait à les étiqueter, à les classer, me pressait de les compléter, et il se flattait de voir bientôt cesser ma répugnance, jusqu’alors invincible, à laisser imprimer quelques-unes décès choses.

Ma sœur s’était entourée d’un cercle de jeunes personnes aimables et intelligentes. Sans être impérieuse, elle exerçait sur toutes de l’empire, parce que son esprit savait voir bien des choses et sa bonne volonté les accommoder ; d’ailleurs elle était en position de jouer le rôle de confidente plus que celui de rivale.

Parmi mes anciennes connaissances et mes anciens amis, je trouvai Horn toujours le même fidèle et joyeux camarade ; je me liai de même avec Riese, qui ne manquait pas d’exercer et de mettre à l’épreuve ma pénétration, en opposant, par une contradiction soutenue, le doute et la négation à un enthousiasme dogmatique, auquel je m’abandonnais trop volontiers. À ces amis s’en joignirent d’autres peu à peu, dont je parlerai plus tard ; mais, parmi les personnes qui me rendirent utile et agréable ce nouveau séjour dans ma ville natale, les frères