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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/446

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tératures modernes, et il avait porté son attention sur l’histoire du monde et des hommes de tous les temps et de tous les lieux. Il était doué d’un jugement vif et pénétrant. On estimait en lui l’homme d’affaires actif et résolu et le calculateur habile. Il était partout bien reçu, son commerce paraissant fort agréable aux personnes dont il ne s’était pas fait craindre par des traits mordants. Il était grand et maigre, remarquable par son nez pointu ; ses yeux bleu clair, peut-être gris, donnaient à son regard mobile quelque chose du tigre. La Physiognomonie de Lavater nous a conservé son profil. Son caractère offrait une singulière discordance : naturellement loyal, noble et sûr, il s’était aigri contre le monde, et il se laissait tellement dominer par son humeur morose, qu’il éprouvait un penchant irrésistible à se montrer, de propos délibéré, rusé et même narquois. Raisonnable, calme et bon, dans un moment donné, il pouvait, dans un autre, comme le limaçon déploie ses cornes, s’aviser de faire une chose de nature à blesser, à offenser ou même à nuire. Mais, tout comme on manie volontiers un instrument dangereux, quand on croit n’en avoir rien à craindre, je me sentais d’autant plus disposé à le fréquenter et à jouir de ses bonnes qualités, qu’une secrète confiance me faisait pressentir qu’il ne me ferait jamais éprouver les mauvaises. Tandis que, d’un côté, par cette inquiétude morale, par ce besoin de se montrer sournois et malin, il troublait les relations de société, une autre inquiétude, qu’il nourrissait en lui avec le même soin, s’opposait à son propre contentement. Je veux parler d’un certain besoin de produire, qu’il sentait à la manière des amateurs et auquel il devait céder volontiers, car il s’exprimait en prose et en vers avec bonheur et facilité, et il aurait fort bien pu essayer de jouer un rôle parmi les beaux esprits du temps. Je possède même encore de lui des épîtres en vers d’une hardiesse et d’une âpreté extraordinaires, et d’une amertume digne de Swift, qui se distinguent à un haut degré par des vues originales sur les hommes et les choses ; malheureusement, elles sont écrites avec une vigueur si blessante, que je ne voudrais pas les publier même aujourd’hui ; mais je devrais ou bien les détruire, ou bien les tenir en réserve pour la postérité, comme d’étranges documents des dissensions secrètes de notre littérature. Toute-