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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/470

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Pour moi, je continuais à me servir de la poésie pour exprimer mes sentiments et mes rêveries. De petits poèmes, tels que le Voyageur[1], sont de cette époque ; ils furent insérés dans l’Almanach des Muses de Goettingue. Mais ce qui avait pu pénétrer en moi de cette contagion, je m’efforçai bientôt après de m’en délivrer dans Gœtz de Berlichingen, en faisant voir comment, dans les époques d’anarchie, l’homme loyal et bien intentionné se résout, au besoin, à prendre la place de la loi et du pouvoir exécutif, mais tombe dans le désespoir, quand il vient à paraître suspect et même rebelle au souverain qu’il reconnaît et qu’il révère.

Les odes de Klopstock avaient aussi introduit dans la littérature allemande la mythologie du Nord ou plutôt la nomenclature de ses divinités ; et, tout disposé que j’étais à me servir de ce qui m’était présenté, je ne pus toutefois me résoudre à faire usage de cette mythologie, et cela par les raisons suivantes. J’avais appris depuis longtemps à connaître les fables de l’Edda par la préface que Mallet avait mise en tête de son Histoire de Danemark, et je m’en étais emparé sur-le-champ. Elles étaient au nombre des contes que j’aimais le mieux à débiter, quand une compagnie me le demandait. Herder me fit lire Résénius, et me rendit plus familières les légendes des héros. Toutefois, quelle que fût à mes yeux la valeur de ces choses, je ne pus les admettre, dans mon trésor poétique ; elles agissaient puissamment sur mon imagination, mais elles échappaient absolument à la perception sensible, tandis que la mythologie des Grecs, transformée par les plus grands artistes du monde en figures visibles, qu’il était facile de se représenter, étaient encore en foule devant nos yeux. En général, je ne mettais pas beaucoup les dieux en scène, parce que, pour moi, ils résidaient encore hors de la nature que je savais imiter. Qu’est-ce donc qui aurait pu me décider à mettre Wodan pour Jupiter et Thor pour Mars, à introduire dans mes poésies, au lieu des figures méridionales, nettement dessinées, des images nébuleuses ou plutôt des mots sonores ? D’un côté, elles se rattachaient plutôt aux héros d’Ossian, sans forme comme elles, mais plus rudes et

  1. Tome I, page 249.