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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/49

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j’étais condamné à entendre diffamer mon héros de la manière la plus horrible. Il soufflait là un autre vent que chez nous ; c’était une autre musique. Mon affection, mon respect même pour mes grands-parents, diminuèrent. Je ne devais rien dire chez nous de tout cela ; je m’en abstenais par mon propre sentiment, et parce que ma mère m’avait averti. Cela me fit rentrer en moi-même, et comme, à l’âge de six ans, après le tremblement de terre de Lisbonne, la bonté de Dieu m’était en quelque façon devenue suspecte, je commençai, à cause de Frédéric II, à suspecter la justice du public. Mon cœur était naturellement enclin à la vénération, et il fallait une grande secousse pour faire chanceler ma foi à quelque chose de respectable. Malheureusement on nous avait recommandé les bonnes mœurs, une conduite décente, non pour elles-mêmes, mais pour le monde. Que dira le monde ? disait-on toujours, et je pensais que le monde devait être un monde équitable, qui saurait apprécier tous et chacun. J’apprenais maintenant le contraire. Les mérites les plus grands et les plus manifestes provoquaient l’outrage et la haine ; les plus nobles exploits étaient niés ou du moins défigurés et rabaissés ; et cette scandaleuse injustice poursuivait l’homme unique, l’homme évidemment supérieur à tous ses contemporains, et qui prouvait et montrait chaque jour ce qu’il était capable de faire ; et cela ne venait pas de la populace, mais d’hommes supérieurs, tels que devaient me paraître mon grand-père et mes oncles. Qu’il pût y avoir des partis, qu’il appartînt lui-même à un parti, l’enfant n’en avait aucune idée. Il croyait d’autant plus avoir raison et pouvoir déclarer son opinion la meilleure, qu’à l’exemple des hommes de son bord, il reconnaissait la beauté et les vertus de Marie-Thérèse, et qu’il ne faisait pas un crime à l’empereur François de son goût pour les joyaux et l’argent. S’ils appelaient parfois le comte Daun un bonnet de nuit, ils croyaient avoir pour cela des raisons suffisantes.

Mais, lorsque j’y réfléchis plus attentivement, je trouve ici le germe de l’irrévérence et même du mépris que j’ai eu pour le public pendant toute une période de ma vie, et dont je n’ai pu me corriger que plus tard par l’expérience et les lumières. Pour tout dire, ce fut dès lors une chose très-pénible et même