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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/554

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vrir le véritable point qui nous divisait, bien qu’il fût assez apparent ; enfin je le reconnus, par hasard plus que par mes recherches. Ce qui me séparait des frères moraves, comme d’autres belles âmes chrétiennes, a déjà divisé l’Église plus d’une fois : les uns soutenaient que la nature humaine a été tellement corrompue par la chute, qu’il ne se trouve pas en elle, jusque dans sa nature la plus intime, le moindre bien, que par conséquent l’homme doit renoncer absolument à ses propres forces et tout attendre de la grâce et de son influence ; les autres n’hésitaient pas à reconnaître l’imperfection héréditaire de l’homme ; mais ils accordaient encore à sa nature intime un germe heureux, qui, animé par la grâce divine, pouvait se développer et produire les fruits de la béatitude céleste. J’étais profondément pénétré de cette croyance, sans le savoir et quoique j’eusse souvent professé l’opinion contraire dans mes discours et mes écrits ; mais je demeurais dans ce demi-jour ; je ne m’étais jamais posé le véritable dilemme. Je fus arraché à cette illusion d’une manière soudaine, un jour que j’exprimais naïvement cette opinion, à mes yeux, tout à fait innocente, et que je dus essuyer pour cela une réprimande sévère. C’était là, me dit-on, la propre doctrine de Pelage, et, par malheur, on voyait de nos jours cette fatale doctrine se réveiller et s’étendre. Je fus surpris et même effrayé. Je revins à l’histoire de l’Église, j’étudiai la doctrine et la vie de Pelage, et je vis clairement que ces deux doctrines inconciliables avaient traversé les siècles dans une oscillation perpétuelle, et que les hommes les avaient accueillies et professées, selon qu’une nature active ou passive dominait en eux.

Jusqu’alors tout m’avait porté incessamment à l’exercice de mes forces propres ; avec une activité sans relâche, avec la meilleure volonté, je travaillais à ma culture morale. Le monde demandait que cette activité fût réglée et consacrée à l’avantage d’autrui, et je devais satisfaire à cette grande exigence par un travail intérieur. De toutes parts j’étais attiré vers la nature ; elle m’était apparue dans sa magnificence ; j’avais appris à connaître bien des hommes sages et vertueux, qui, dans le cercle de leurs devoirs, savaient tout endurer pour l’amour du devoir : renoncer à eux, à moi-même, me semblait impossible ; l’abîme