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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/559

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lente, que, dans les incidents qui survinrent, nous perdîmes un de nos hommes les plus distingués, le respectable Mendelssohn.

Bien que le sujet de Prométhée puisse amener, comme il l’a fait, des méditations philosophiques et même religieuses, il appartient tout particulièrement à la poésie. Les Titans font ressortir le polythéisme, comme on peut dire que le diable fait ressortir le monothéisme. Mais le diable, non plus que le Dieu unique auquel il est opposé, n’est point une figure poétique. Le Satan de Milton, assez heureusement dessiné, a toujours le désavantage d’une position subalterne, en cherchant à détruire la création magnifique d’un être supérieur ; Prométhée, au contraire, a l’avantage, et il peut créer et produire en dépit d’êtres supérieurs. C’est aussi une belle et poétique pensée que d’attribuer la création des hommes non au suprême ordonnateur de l’univers, mais à un être intermédiaire, à qui sa descendance de la plus ancienne dynastie donne pour cela assez d’importance et de dignité. Et, en général, la mythologie grecque présente une richesse inépuisable de symboles divins et humains.

Cependant l’idée titanique et gigantesque d’un assaut livré au ciel ne fournit aucun élément à ma poésie. Il me convenait mieux de retracer cette résistance paisible, plastique, au besoin, patiente, qui reconnaît la puissance supérieure, mais qui voudrait s’égalera elle. Toutefois les plus hardis de cette race. Tantale, Ixion, Sisyphe, étaient mes saints. Admis dans la société des dieux, ils ne s’étaient peut-être pas montrés assez fournis ; convives présomptueux, ils avaient mérité la colère de leur protecteur hospitalier, et s’étaient attiré un triste bannissement. Ils m’inspiraient de la compassion ; déjà les anciens avaient jugé leur situation vraiment tragique ; et, en les faisant paraître, comme membres d’une formidable opposition, à l’arrière-plan de mon Iphigénie, je leur dois sans doute une partie de l’effet que cette pièce a eu le bonheur de produire.

Dans ce temps-là, je m’occupais à la fois sans relâche de poésie et de peinture. Je dessinai sur papier gris, avec le crayon noir et le crayon blanc, les portraits en profil de mes amis. Quand je dictais ou que j’écoutais une lecture, j’esquissais les altitudes de l’écrivain et du lecteur avec les objets qui les