Aller au contenu

Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/56

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

théâtre de la foire. Sur l’entrefaite, je regardai au miroir, et je vis par hasard le reflet d’une niche qui se trouvait derrière moi. Dans le fond blanc étaient pendues trois cordelettes vertes, chacune entortillée sur elle-même, d’une manière que, dans l’éloignement, je ne pouvais bien démêler. Je me tournai donc un peu brusquement, et je demandai au vieillard des explications sur la niche comme sur les cordelettes. Avec une parfaite complaisance, il en prit une et me la montra. C’était un cordon de soie verte assez fort, dont les deux bouts, passés à travers une lanière de cuir vert à double fente, lui donnaient l’apparence d’un instrument destiné à un usage peu agréable. La chose me parut suspecte, et j’en demandai au vieillard l’explication. Il me répondit, d’un ton fort tranquille et débonnaire, que cela était réservé pour les gens qui abusaient de la confiance qu’on était disposé à leur donner ici. Il remit le cordon à sa place et me demanda aussitôt de le suivre ; car, cette fois, il ne me prit pas la main, et je marchai librement à ses côtés.

À ce moment, ce qui piquait surtout ma curiosité, c’était de savoir où pouvait être la porte, où pouvait être le pont, par lesquels on franchissait la grille, on traversait le canal ; car jusqu’alors je n’avais rien pu découvrir de pareil. J’observais donc très-attentivement la grille dorée, pendant que nous en approchions à grands pas ; mais tout à coup ma vue se troubla, car les piques, les lances, les hallebardes, les pertuisanes, se remuèrent et se secouèrent à l’improviste, et, après ces mouvements étranges, finirent par se pencher les unes contre les autres comme lorsque deux troupes d’autrefois, armées de piques, voulaient s’élancer l’une contre l’autre. La confusion était à peine supportable pour l’œil, le fracas, pour l’oreille ; mais le coup d’œil fut surprenant au delà de toute expression, quand toutes les lances se furent couchées, couvrirent le tour du canal et formèrent le pont le plus magnifique qui se puisse imaginer ; en effet le parterre le plus varié s’étendait devant mes yeux ; il était partagé en planches entrelacées, qui présentaient, dans leur ensemble, un labyrinthe d’arabesques ; toutes avec des cadres verts d’une plante basse, en pleine croissance, que je n’avais jamais vue ; toutes garnies de fleurs, de couleur différente dans chaque compartiment, et qui, étant basses » aussi, permettaient de suivre sur le sol le dessin tracé devant les yeux. Ce délicieux spectacle, dont je jouissais en plein soleil, enchaînait-absolument mes regards : mais je ne savais presque où poser le pied, car les sentiers sinueux étaient semés du plus beau sable d’azur, qui semblait former sur la terre un ciel plus sombre ou un ciel reflété dans l’eau Je marchai quelque temps de la sorte à côté de mon guide, les yeux baissés vers la terre ; enfin je m’aperçus qu’au milieu de ce parterre fleuri, se trouvait un grand rond de cyprès et de peupliers, à travers lequel la vue ne pouvait pénétrer, parce que les branches les plus basses semblaient sortir de terre. Mon guide, sans m’entraîner précisément par le plus court chemin, me conduisit cependant tout auprès de ce centre ; et quelle ne fut pas ma surprise, lorsque, en pénétrant dans le rond des grands arbres, je vis devant moi le portique d’un superbe pavillon, qui paraissait offrir par les autres côtés des vues et des entrées pareilles ! Mais je fus moins enchanté par ce modèle d’architecture que par une musique cé-