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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/593

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gligence, qui résultent de notre légèreté et de notre vanité, ont des suites fâcheuses et pénibles, je ne pouvais non plus la concevoir comme un enseignement divin. Je pouvais donc tout au plus prêter l’oreille à cet excellent ami, mais sans rien lui répondre qui dût le satisfaire. Toutefois je lui laissais le champ libre comme à tant d’autres, et, comme auparavant, je pris sa défense dans la suite, quand des personnes par trop mondaines ne craignaient pas de blesser sa nature délicate. Aussi ne laissai-je pas arriver jusqu’à son oreille la boutade d’un esprit goguenard, qui disait un jour d’un ton sérieux : « En vérité, si j’étais aussi bien avec Dieu que Joung, ce n’est pas de l’argent que je demanderais à l’Être suprême, mais de la sagesse et de la prudence, pour me faire éviter tant de sottises qui coûtent de l’argent et qui nous endettent misérablement pour de longues années. »

En effet, ces plaisanteries et ces traits malins n’étaient pas alors de saison. Bien des jours se passèrent entre la crainte et l’espérance ; la crainte augmenta, l’espérance s’évanouit et disparut tout à fait. Les yeux du bon M. de Lersner s’enflammèrent, et il ne fut plus douteux que la cure avait mal réussi. L’état dans lequel ce malheur plongea notre ami ne peut se décrire. Il était aux prises avec le plus profond et le plus cruel désespoir. En effet, que n’avait-il pas perdu dans cette occasion ! D’abord, la vive reconnaissance de l’homme rendu à la lumière, ce qui est pour le médecin la plus magnifique récompense ; la confiance de tant d’autres infirmes ; le crédit, car sa pratique détruite laissait une famille dans l’indigence. En un mot, nous jouâmes d’un bout à l’autre le lamentable drame de Job, où l’honnête Stilling se chargea lui-même du rôle des amis qui le censurent. Il voulait considérer cet accident comme une punition de ses fautes ; il lui semblait qu’il avait témérairement considéré comme une vocation divine les remèdes ophthalmiques, accidentellement parvenus dans ses mains ; il se reprochait de n’avoir pas étud’é à fond cet art, d’une si grande importance, mais d’avoir pratiqué d’une manière superficielle et aventureuse ; il se rappelait à tout moment les méchants propos de la malveillance, et il se demandait si ces propos n’étaient pas fondés. Ces réflexions l’affligeaient d’autant plus qu’il devait se