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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/616

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lonté et leurs efforts, perçait une joyeuse espérance de se former sérieusement pour le bien de la patrie et de l’humanité.

Dans ce temps, la tendance générale portait donc l’activité des esprits vers l’époque intermédiaire entre le quinzième et le seizième siècle. Les ouvrages d’Ulric de Hutten me tombèrent dans les mains, et il me parut assez extraordinaire de voir se manifester de nouveau en notre temps ce qui s’était produit alors. La lettre suivante, adressée par Ulric de Hutten à Bilibad Pirkheimer, trouvera donc ici sa place convenable :


« Ce que nous a donné la fortune, elle nous le reprend d’ordinaire, et elle ne s’en tient pas là ; tous les autres avantages extérieurs de l’homme sont sujets au hasard. À présent, j’aspire à un honneur que je voudrais bien obtenir sans disgrâce, de quelque manière que ce fat. Car une violente soif me possède d’arriver à la gloire et de m’ennoblir autant qu’il se pourra. Je serais fort à plaindre, cher Bilibad, de me tenir déjà pour noble, avec le rang, la famille et les parents auxquels j’appartiens, si je n’étais pas ennobli par mes propres efforts. C’est là le grand ouvrage que j’ai dans l’esprit : ma pensée se porte plus haut ; je n’aspire point à me voir placé dans une condition plus distinguée et plus brillante, je voudrais chercher ailleurs une source où puiser une noblesse particulière, et non me voir compté parmi les faux gentilshommes, satisfait de ce que j’ai reçu de mes ancêtres ; je voudrais, au contraire, ajouter moi-même à ces biens quelque chose qui passât de moi à mes descendants.

« C’est donc de ce côté que je dirige et que je pousse mes études et mes efforts, opposé d’opinion à ceux qui regardent comme suffisant tout ce qui est. Rien de pareil n’est suffisant pour moi, et c’est dans ce sens que je t’ai fait connaître mon ambition particulière. Je ne porte point envie, je l’avoue, à ceux qui, sortis des rangs les plus bas, se sont élevés au-dessus de ma condition, et je ne pense point là-dessus comme les gens de ma classe, qui ont coutume d’injurier les personnes d’une basse origine, lorsqu’elles se sont distinguées par leur mérite. Car ils nous sont à bon droit préférés, ceux qui saisissent et s’approprient la matière de la gloire, que nous méprisons nous-mêmes ; qu’ils soient fils de foulons ou de corroyeurs, ils ont su obtenir la gloire avec plus de difficultés que nous n’en aurions rencontré. Il ne faut pas seulement qualifier d’insensé l’ignorant, envieux de celui qui s’est distingué par tes connaissances, il faut le mettre au nombre des misérables, même des plus misérables, et c’est le défaut auquel notre noblesse est tout particulièrement sujette, de regarder d’un œil jaloux ces avantages. Et quelle folie, bon Dieu, d’envier celui qui possède ce que nous avons négligé ! Pourquoi n’avons-nous pas étudié le droit ? Pourquoi n’avons-nous pas appris les belles-lettres, les beaux-arts ? Des foulons, des cordonniers et des charrons ont pris l’avance sur nous. Pourquoi a\ons-nous quitté la place et (quelle honte !) abandonné les études libérales aux gens de service et à leur crasse ? Tout homme habile et studieux a pu très-justement s’approprier et