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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/620

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lire ces choses aimeront à reconnaître, en pénétrant plus avant, que toutes ces excentricités avaient pour fondement une vertueuse tendance. La volonté sincère lutte avec la prétention, la nature avec la routine, le talent avec la forme, le génie avec lui-même, la force avec la mollesse, le mérite encore en germe avec la médiocrité épanouie ; en sorte qu’on peut considérer tout ce mouvement comme un combat d’avant-poste, qui suit une déclaration de guerre et annonce de violentes hostilités ; car, à vrai dire, la lutte des cinquante dernières années n’est pas encore à son terme ; elle se poursuit toujours, mais dans de plus hautes régions.

J’avais imaginé, d’après une ancienne pièce de marionnettes, une folle bouffonnerie intitulée les Noces de Jean-Potage. En voici l’idée. Jean-Potage est un jeune et riche paysan qui n’a plus ni père ni mère. À peine est-il majeur, qu’il veut épouser une riche jeune fille, nommée Ursule Blandine. Le tuteur de Jean-Potage, Kilian Broustfleck, et la mère d’Ursule, en sont charmés. Leur plan, médité durant de longues années, leurs vœux les plus ardents, seront enfin accomplis. Il ne se présente pas le moindre obstacle, et tout l’intérêt repose sur ce que le désir des jeunes gens de se posséder est retardé par les apprêts de la noce et les cérémonies indispensables. Le prologue est débité par le semonneur, qui récite sa tirade traditionnelle et la termine par ces mots :

Au cabaret de la Puce dorée
Sera la noce célébrée.

Pour échapper au reproche d’avoir violé l’unité de lieu, on exposait aux yeux, dans le fond du théâtre, l’auberge avec ses brillants insignes, mais de telle sorte que, tournant sur un pivot, elle put être présentée par ses quatre faces, ce qui exigeait toutefois à l’avant-scène les changements convenables. Au premier acte, on voyait la face tournée vers la route, avec ses insignes dorés, exécutés tels que les avaient présentés le microscope solaire ; au deuxième acte, c’était le côté qui regardait le jardin ; au troisième, celui qui donnait sur un bosquet ; au quatrième, celui devant lequel s’étalait le lac voisin. Par où était prophétisé que, dans les temps futurs, le décorateur pourrait, sans beaucoup de peine, amener une vague sur toute la scène et jusque dans le trou du souffleur. Tout cela ne fait pas ressortir encore le véritable intérêt de la pièce ; le badinage fou qui en faisait le fond, c’est que tout le personnel des acteurs portait des sobriquets en pur allemand, qui exprimaient le caractère des personnages et leurs relations mutuelles. Comme nous osons espérer que ces Mémoires seront lus dans les bonnes compagnies et même dans le cercle décent de la famille, nous ne croyons pas devoir nommer ici nos personnages à la file, comme c’est l’usage sur les affiches de théâtre, ni citer les endroits où ils se montraient de la manière la plus brillante, quoique les applications gaies, malignes, naïves, et les spirituelles plaisanteries dussent se produire de la manière la plus simple. Voici un échantillon. Nos éditeurs jugeront s’il est admissible.

Le cousin Schouft (faquin) avait le droit, par ses rapports avec la famille, d’être invité à la fête ; personne n’avait d’objection à faire, car, si sa conduite était inepte, cependant il se trouvait là, et, puisqu’il se