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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/630

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suadé. Je partis, en gardant au fond du cœur le mystérieux sentiment dont la passion continue de se nourrir ; car cet enfant, que l’on appelle Amour, se cramponne encore avec obstination au vêtement de l’Espérance, quand elle prend déjà sa course pour s’éloigner à grands pas.

De là jusqu’à Zurich, le seul objet dont je garde encore un souvenir distinct est la chute du Rhin près de Schaffhouse. Une puissante cataracte signale le premier degré qui annonce un pays de montagnes, dans lequel nous nous proposons d’entrer et où nous devons en effet, de degrés en degrés et dans une progression croissante, atteindre péniblement les hauteurs. La vue du lac de Zurich, dès le seuil de l’Épée, m’est également présente : je dis du seuil de l’auberge, car je n’y entrai point et je courus chez Lavater. La réception fut gaie et cordiale et, je dois le dire, infiniment agréable. Je trouvai Lavater familier, indulgent, bénissant, édifiant ; on ne pouvait se faire une autre idée de sa personne. Sa femme, avec des traits un peu singuliers, mais paisibles, qui exprimaient une douce piété, s’harmonisait parfaitement, comme tout ce qui entourait Lavater, avec sa manière de vivre et de sentir.

La conversation roula d’abord et continua presque sans interruption sur sa Physiognomonie. La première partie de ce singulier ouvrage était déjà, si je ne me trompe, complètement imprimée, ou du moins près de l’être. On peut dire que cet ouvrage est empirique avec génie, collectif avec méthode. J’eus avec le livre les plus singuliers rapports. Lavater voulait avoir tout le monde pour collaborateur et participant. Dans son voyage du Rhin, il avait déjà fait faire le portrait d’une foule d’hommes marquants, pour les intéresser personnellement à un livre dans lequel ils devaient figurer eux-mêmes. Il procéda de même avec les artistes ; il les pressait tous de lui envoyer des dessins pour son objet. Les dessins arrivèrent, et ils ne répondaient pas précisément à leur destination. Il demanda pareillement de divers côtés des gravures sur cuivre, et le résultat fut aussi rarement caractéristique. De son côté, il avait exécuté un grand travail ; à force d’argent et de peines de tout genre, un ouvrage considérable était préparé ; la Physiognomonie avait obtenu tous les honneurs, et, au moment où ces travaux allaient