Aller au contenu

Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/670

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

autres et poursuivre quelque dessein. Elle avait pris une véritable amitié pour moi, et il lui fut d’autant plus facile de m’induire à demeurer plus longtemps, que je logeais chez elle, où elle pouvait offrir à mon séjour toute sorte de plaisirs et opposer à mon départ toute sorte d’empêchements. Quand je voulus porter la conversation sur Lili, je ne la trouvai pas aussi sympathique et aussi complaisante que je l’avais espéré. Elle approuvait au contraire notre résolution mutuelle de nous séparer, vu les circonstances, et elle soutenait qu’il faut se résigner à l’inévitable, bannir l’impossible de sa pensée et se chercher dans la vie un nouvel intérêt. Projeteuse comme elle l’était, elle n’avait pas voulu abandonner l’affaire au hasard ; elle avait déjà formé un plan pour mon établissement futur, d’où je vis bien que sa dernière invitation à Heidelberg avait été plus calculée qu’il ne semblait.

L’électeur Charles-Théodore, qui a tant fait pour les arts et les sciences, résidait encore à Mannheim, et, précisément parce que la cour était catholique et le pays protestant, ce dernier parti avait grand intérêt à se fortifier par des hommes énergiques, sur lesquels on pût fonder des espérances. J’irais donc en Italie ; à la garde de Dieu, et j’y perfectionnerais mes connaissances dans les arts ; dans l’intervalle, on travaillerait pour moi, on saurait, à mon retour, si l’inclination naissante de Mlle de W. se serait développée ou évanouie, et s’il serait à propos d’établir, par une alliance avec une famille considérable, ma personne et ma fortune dans une nouvelle patrie. Je ne repoussai pas ces idées ; mais moi, qui ne savais rien calculer, je ne pouvais m’accorder tout à fait avec les calculs de mon amie ; je jouissais de la faveur du moment ; l’image de Lili me poursuivait dans mes veilles et dans mes rêves, et se mêlait à tout ce qui aurait pu me charmer ou me distraire. Alors je me représentai l’importance de mon grand voyage, et je résolus de me dégager d’une manière douce et polie, puis de poursuivre ma route au bout de quelques jours.

Mlle Delf avait prolongé la veille, m’exposant en détail ses plans et ce qu’on était disposé à faire pour moi. Je ne pouvais que témoigner ma reconnaissance de pareils sentiments, bien que le dessein d’une certaine coterie de se fortifier par mon