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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/73

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en ordre ses richesses de tout genre. Une excellente collection de cartes de Schenk, et d’autres cartes géographiques, alors les plus estimées, ces édits et ordonnances que je viens de mentionner, ces portraits, une armoire de vieilles armes, une armoire de beaux verres de Venise, des coupes et des bocaux, des objets d’histoire naturelle, des ouvrages en ivoire, des bronzes et cent autres choses, furent classés et rangés, et, chaque l’ois qu’il se faisait une vente aux enchères, je ne manquais pas de solliciter quelques commissions pour augmenter ce trésor.

Je dois encore faire mention d’une famille considérable, sur laquelle j’entendis, dès mes plus jeunes années, beaucoup de récits étranges, et dont quelques membres m’ont offert à moi-même de singuliers spectacles. C’était la famille de Senckenberg. Le père, dont je sais peu de chose, était riche. Il avait trois fils, qui, dès leur jeunesse, furent généralement signalés comme des originaux. Ce n’est pas là un titre à la faveur, dans une ville de médiocre étendue, où personne ne doit se distinguer ni en bien ni en mal. Les sobriquets et les contes bizarres, qui se gravent pour longtemps dans la mémoire, sont les fruits ordinaires d’une pareille singularité. Le père demeurait au coin de la Hasengasse (Rue aux lièvres), ainsi nommée d’un lièvre ou même de trois, sculptés sur la face de la maison. On appela donc aussi les trois frères les trois lièvres, et ce sobriquet leur resta longtemps. Mais souvent les grandes qualités s’annoncent dans la jeunesse par quelque chose de bizarre et de malséant, et c’est ce qui arriva dans cette famille. L’aîné fut plus tard le conseiller aulique de Senckenberg, si honorablement connu ; le second entra dans la magistrature et montra des talents supérieurs, dont il abusa dans la suite, en chicaneur et même en malhonnête homme, au préjudice, sinon de sa patrie, du moins de ses collègues. Le troisième frère, homme d’une grande probité, fut médecin, mais il pratiquait peu et seulement dans les grandes maisons. Il eut, jusque dans sa dernière vieillesse, un extérieur un peu bizarre. Il était toujours vêtu avec une grande propreté, et jamais on ne le voyait dans les rues autrement qu’en souliers et en culotte courte, avec une perruque à boucles, bien poudrée, le chapeau sous le bras. Il marchait vite, les yeux baissés, mais avec un balance-