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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/77

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avec une passion croissante : « Aide-moi, je t’en supplie ! Je t’adore, si tu l’exiges, ô monstre !… Réprouvé, noir scélérat, aide-moi ! Je souffre le tourment de la mort vengeresse, éternelle. Autrefois je pouvais te haïr d’une haine ardente, furieuse : maintenant je ne le puis plus. C’est là aussi une poignante douleur. » Jusque-là tout s’était assez bien passé ; mais, arrivée aux mots qui suivent, Cornélie s’écria d’une voix terrible : « Oh ! comme je suis brisé ! » Le pauvre barbier eut peur, et répandit l’eau de savon sur la poitrine de mon père. Cela causa un grand tumulte ; on fit une enquête sévère, surtout en considération du malheur qui aurait pu arriver, si l’on eût été en train de raser. Pour éloigner de nous tout soupçon de malice, nous avouâmes nos rôles diaboliques, et le mal que les hexamètres avaient occasionné était trop manifeste, pour qu’on ne dût pas de nouveau les décrier et les proscrire. C’est ainsi que les enfants et le peuple ont coutume de tourner en jeu, et même en bouffonnerie, le grand et le sublime ; et, sans cela, comment seraient-ils en état de le soutenir et de le supporter ?




LIVRE III.

Dans ce temps-là, le nouvel an rendait la ville très-vivante, parce que tout le monde courait de côté et d’autre offrir des félicitations. Tel qui ne sortait guère de chez lui en temps ordinaire, se parait de ses plus beaux habits pour se montrer un moment affectueux et poli à ses amis et à ses protecteurs. La solennité de ce jour, dans la maison de notre grand-père, nous causait surtout une vive jouissance. Les petits-fils s’y rassemblaient dès le grand matin pour entendre les tambours, les hautbois et les clarinettes, les trompettes et les clairons, que la troupe des musiciens de la ville et que sais-je encore ? faisait retentir. Les étrennes cachetées et portant leur adresse étaient par nous distribuées aux petites gens qui venaient faire leur