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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/84

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tableaux, et particulièrement dans les ventes, auxquelles j’assistais diligemment, la réputation de savoir dire sur-le-champ ce que représentait un tableau historique, que le sujet fût tiré de la Bible, de l’histoire profane ou de la mythologie. Et, si je ne trouvais pas toujours le sens des peintures allégoriques, il était rare qu’un des assistants le comprît mieux que moi. Souvent, aussi j’avais décidé les artistes à traiter tel ou tel sujet, et j’usais maintenant avec plaisir et avec amour de ces avantages. Je me souviens encore que je rédigeai un mémoire détaillé, dans lequel je décrivais douze tableaux, qui devaient représenter l’histoire de Joseph ; quelques-uns furent exécutés.

Après ces occupations, louables assurément chez un enfant de mon âge, je veux rapporter aussi une petite mortification que j’eus à souffrir au milieu de ces artistes. Je connaissais bien tous les tableaux qu’on avait apportés successivement dans cette chambre. Ma curiosité enfantine ne laissait rien passer inaperçu et inobservé. Un jour je trouvai derrière le poêle une cassette noire : je ne manquai pas d’examiner ce qu’elle pouvait contenir, et, sans délibérer longtemps, je tirai le couvercle à coulisse. Le tableau que renfermait la cassette était en effet de ceux qu’on n’a pas coutume d’exposer aux regards, et je voulus repousser aussitôt la coulisse, mais je ne pus en venir assez vite à bout. Le comte entra et me prit sur le fait. « Qui vous a permis d’ouvrir cette cassette ? » dit-il avec son air de lieutenant du roi. Je n’avais pas grand’chose à répondre, et sur-le-champ il prononça gravement la sentence : « Vous n’entrerez pas dans cette chambre de huit jours. » Je m’inclinai et je sortis. J’obéis à cette défense avec une parfaite ponctualité, en sorte que le bon Séekatz, qui travaillait dans la chambre, en fut très-chagrine. Il aimait à m’avoir auprès de lui, et, par une petite malice, je poussai l’obéissance jusqu’à poser sur le seuil le café que j’avais coutume de lui apporter, si bien qu’il devait quitter sa chaise et son travail pour venir le chercher. Il prit la chose si mal qu’il faillit m’en garder rancune.

Maintenant il paraît nécessaire d’exposer avec quelques détails et d’expliquer comment, sans avoir appris le français, je parvins à m’exprimer en cette langue avec quelque facilité. Cette fois encore, je fus bien secondé par le don que j’avais naturel-