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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/95

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la maison dans la soirée. Le lieutenant du roi avait ordonné sur-le-champ de mettre notre père aux arrêts. Les subalternes savaient bien qu’il ne fallait jamais le contredire : cependant on leur avait su gré quelquefois d’avoir différé d’obéir. Notre compère l’interprète, à qui la présence d’esprit ne faisait jamais défaut, sut réveiller vivement chez eux ces dispositions. Le tumulte était d’ailleurs si grand, qu’un retard se dissimulait et s’excusait de lui-même. Il avait fait sortir ma mère, et avait mis, pour ainsi dire, l’officier dans ses mains, afin que, par ses prières et ses représentations, elle obtînt du moins quelque délai. Il se hâta lui-même de monter chez le comte, qui, toujours maître de lui-même, s’était retiré sur-le-champ dans son cabinet particulier, aimant mieux laisser un moment en suspens l’affaire la plus urgente que de soulager aux dépens de quelque innocent sa mauvaise humeur une fois excitée, et de rendre une décision fâcheuse pour sa dignité.

Le discours de l’interprète au comte, toute la suite de l’entretien, le gros compère, qui n’était pas médiocrement fier du succès, nous les a répétés assez souvent pour que je puisse encore les reproduire de mémoire. L’interprète s’était permis d’ouvrir le cabinet et d’entrer, action qui était sévèrement punie. « Que voulez-vous ? lui cria le comte irrité. Sortez ! Personne n’a le droit d’entrer ici que Saint-Jean. — Eh bien ! prenez-moi un moment pour Saint-Jean. — Il faudrait pour cela une grande force d’imagination. Deux comme lui n’en font pas un comme vous. Sortez ! — Monsieur le comte, vous avez reçu du ciel un grand don, et c’est à ce don que j’en appelle. — Vous voulez me flatter : ne croyez pas que cela vous réussisse. — Vous avez le grand don, monsieur le comte, même dans les moments de passion, dans les moments de colère, d’écouter les sentiments des autres. — Bien, bien ; il s’agit en effet de sentiments que j’ai trop longtemps écoutés. Je ne sais que trop bien qu’on ne nous aime pas ici, que ces bourgeois nous regardent de mauvais œil. — Pas tous. — Un très-grand nombre. Eh quoi ! ces citoyens veulent-ils être les citoyens d’une ville impériale ? Ils ont vu élire et couronner leur empereur, et, quand cet empereur, injustement attaqué, court le risque de perdre ses États et de succomber sous un usurpateur ; quand il trouve heureuse-