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Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/104

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— Vous souffrez de l’ennui, Madame. En effet, votre vie me semble passablement ennuyeuse. Vous déjeunez, on attelle ; vous rentrez, on dételle ; vous dînez, on réattelle ; vous rentrez, on déréattelle… et là-dessus, vous vous couchez.

— On m’a dit, Monsieur, que vous étiez très moqueur. Une dame…

— Moi, Madame, comme je vous l’ai dit, je suis horriblement timide ; je m’en cache en raillant quelquefois… Mais je vous promets de ne plus rire, si vous le voulez.

— Et de ne plus fumer ? Car combien fumez-vous de pipes ?… Vous devez avoir le gosier brûlé… Fi, que c’est vilain !

— Je vous jure de vous faire le sacrifice d’une pipe par jour, si vous le désirez.

— Oh ! je ne vous demande pas de sacrifice.

— C’est vrai, on ne demande de sacrifice qu’à ceux qu’on aime.

Un silence.

— Je vais entrer un instant à Notre-Dame-de-Lorette… Au fait, on m’a dit que vous étiez un vieillard ?

— Mais, Madame, qui m’a desservi ainsi ; je n’ai que l’esprit de vieux, le reste… Où vous revoir, dites ?

Elle s’arrête, se passe la main sur les yeux :

— Non, c’est impossible, il vaut mieux ne pas nous revoir.

— Voyons, Madame, vous qui vous ennuyez, si vous mettiez un roman dans votre vie !