Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/139

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plus de nouveau en eux qu’en moi. Personne même n’est mort parmi les gens que je connais. Je n’ai pas de chagrin, mais c’est pis que cela.

30 mai. — X*** vient me voir, me lit un paquet de lettres de sa maîtresse. Mon ami a une doctrine : c’est de toujours occuper la femme qui vous aime, — dût-on l’occuper à pleurer. Il exige tout son temps, toute sa pensée, et, pour arriver à cela, il lui impose de petits devoirs matériels, comme de la forcer à se lever, tous les matins, pour lui écrire des lettres de sept ou huit pages. Puis, il la distrait par des scènes continuelles, des consignations de gens à la porte, des sacrifices de toutes sortes, et la boude, la gronde, l’insulte, fait amende honorable, puis la réinsulte, — maintenant son adorée, tout le temps, dans l’émotion fiévreuse d’une liaison toujours au bord d’une rupture ou d’une réconciliation. Bref, il bat son cœur à tour de bras pour ne pas qu’il s’ennuie.

— Quand Murger écrivit la Vie de Bohème, il ne se doutait guère qu’il écrivait l’histoire d’un monde qui allait être un pouvoir au bout de cinq ou six ans, et cela est cependant à l’heure qu’il est. Ce monde, cette franc-maçonnerie de la réclame règne et gouverne, et défend la place à tout homme bien né. C’est un amateur, et avec ce mot-là, on le tue : a-t-il derrière lui les in-folio d’un bénédictin ou apporte-t-il un peu de la fantaisie d’Henri Heine. Oui, ça ne fait rien, c’est un amateur, et il sera déclaré un amateur par