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Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/169

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burlesquement fantastiques, mais bourgeoisement monstrueuses, et peinturlurées brutalement de noir et de vilain rouge, et mettant à ces images de la vie réelle, je ne sais quoi du sauvage et du macabre des figurations d’idoles des peuples primitifs et anthropophages.

Alors, avec un geste impérieux — l’index de la main droite plongeant dans le rayon lumineux, et comme montrant dans du jour, l’avenir, — le devin commence, et avec une voix canaille et des intonations de peuple, il vous récite pendant une demi-heure le roman qui vous menace. Cet homme n’est pas le premier venu dans son métier, il parle sans arrêt, sans hésitation, sans repos, jetant de temps en temps au milieu de la phraséologie dramatique et des vieux clichés de la bonne aventure, de crapuleux éclats de verbe et de voix à la Vautrin : « Vous coucherez avec une femme, vous la lâcherez !… » Et longtemps, longtemps, il berce et amuse les côtés aventureux de votre âme par l’invraisemblance d’incidents qui vous mèneront à connaître des « étrangères puissamment riches et merveilleusement belles, dans une ville où il y aura des ruines ». Et ce diable d’homme vous met dans le cerveau tant d’images de kaléidoscope et de lanterne magique, et un tel bruit de paroles, et un tel brouillamini de faits prédits, qu’il semble, avec la sonorité de sa voix et la fixité de ses yeux, vous verser de la confusion dans la cervelle et de l’étourdissement dans l’attention.

Il m’a dit une seule chose qui m’a frappé : « Vous,