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Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/18

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le même jour, doivent publier leur premier roman. Or, par une malechance ironique, c’était notre cas.

Le matin donc, lorsque, paresseusement encore, nous rêvions d’éditions, d’éditions à la Dumas père, claquant les portes, entrait bruyamment le cousin Blamont, un ci-devant garde du corps, devenu un conservateur poivre et sel, asthmatique et rageur.

— Nom de Dieu, c’est fait ! soufflait-il.

— Quoi, c’est fait ?

— Eh bien, le coup d’État !

— Ah ! diable… et notre roman dont la mise en vente doit avoir lieu aujourd’hui !

— Votre roman… un roman… la France se fiche pas mal des romans aujourd’hui, mes gaillards ! — et par un geste qui lui était habituel, croisant sa redingote sur le ventre, comme on sangle un ceinturon, il prenait congé de nous, et allait porter la triomphante nouvelle du quartier Notre-Dame-de-Lorette au faubourg Saint-Germain, en tous les logis de sa connaissance encore mal éveillés.

Aussitôt à bas de nos lits, et bien vite, nous étions dans la rue, notre vieille rue Saint-Georges, où déjà le petit hôtel du journal le National était occupé par la troupe… Et dans la rue, de suite nos yeux aux affiches, car égoïstement nous l’avouons, — parmi tout ce papier fraîchement placardé, annonçant la nouvelle troupe, son répertoire, ses exercices, les chefs d’emploi, et la nouvelle adresse du directeur passé de l’Élysée aux Tuileries — nous cherchions la nôtre d’affiche, l’affiche qui devait