Aller au contenu

Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/191

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

servait. Les musiques militaires éclatent. Les pantalons rouges de la garde montante passent dans les fanfares allant au Palais, pendant qu’un épais capucin, sa grosse corde autour des reins, cause familièrement accoudé au comptoir, avec la grasse femme du café, roulant des yeux diablement noirs.

— Lu, dans le bain, un joli vers d’un poète entre Ronsard et Corneille, de l’inconnu Pager :

« Je crains ce que j’espère. »

— Que n’avons-nous écrit, jour par jour, au début de notre carrière, ce rude et horrible débat contre l’anonyme, toutes ces stations dans l’indifférence ou l’injure, ce public cherché et vous échappant, cet avenir vers lequel nous marchions résignés, mais souvent désespérés, cette lutte de la volonté impatiente et fiévreuse contre le temps et l’ancienneté, un des grands privilèges de la littérature. Point d’amis, point de relations, tout fermé… Ce silence si bien organisé contre tous ceux qui veulent manger au gâteau de la publicité, ces tristesses et ces navrements qui nous prenaient pendant ces années lentes où nous battions l’écho, sans pouvoir lui apprendre notre nom !… Ah ! cette agonie muette, intérieure, sans autre témoin que l’amour-propre qui saigne et le cœur qui défaille ! cette agonie monotone et sans événement, écrite sur le vif des souffrances, ce serait une bien belle étude que personne ne fera, parce qu’un rien de succès, l’éditeur trouvé, quelques cents francs gagnés, quelques articles à cinq ou six