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Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/21

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— Un original garçon que l’ami qui nous était tombé du bout de notre famille, un mois avant la publication d’En 18.., un parent, un cousin.

On sonne un matin. Apparaît un jeune homme barbu et grave que nous reconnaissons à peine. Nous avions grandi comme grandissent souvent les enfants d’une même famille, réunis à des années de distance par un séjour dans la même maison pendant les vacances. Tout petit il visait à l’homme. Au collège Stanislas, il s’était fait renvoyer. Lors de mes quinze ans, lorsque je dînais à côté de lui, il m’entretenait d’orgies qui me faisaient ouvrir de grands yeux. Déjà il touchait aux lettres et corrigeait les épreuves de son professeur Yanoski. À vingt ans, il avait des opinions républicaines et une grande barbe, et il portait un chapeau pointu couleur feuille morte, disait : « mon parti, » écrivait dans la Liberté de penser, rédigeait de terribles articles contre l’inquisition, et prêtait de l’argent au philosophe X… Tel était notre jeune cousin, Pierre-Charles, comte de Villedeuil.

Le prétexte de cette visite était je ne sais quel livre de bibliographie pour lequel il cherchait deux collaborateurs. Nous causons ; peu à peu il sort de sa gravité et descend de sa barbe noire, blague joliment la grosse caisse sur laquelle il bat la charge de ses ambitions, avoue l’enfant naïf qu’il est, nous tend cordialement la main. Nous étions seuls, nous allions à l’avenir, lui aussi ! Puis la famille, quand elle ne divise pas, noue toujours un peu. Et nous