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Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/308

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quelque chose qui va naître, il apparaît des décadents libres, charmants, prodigieux, des aventuriers de la ligne et de la couleur qui risquent tout, et apportent en leurs imaginations, avec une corruption suave, une délicieuse témérité. Tel Honoré Fragonard, le plus merveilleux improvisateur parmi les peintres.

Parfois je m’imagine Fragonard sorti du même moule que Diderot. Chez tous deux pareil bouillonnement, pareille verve. Une peinture de Fragonard, ça ne ressemble-t-il pas à une page de Diderot ? Tableaux de famille, attendrissement de la nature, libertés d’un conte plaisant et en tout le même ton ému et polissonnant.

Mardi 13 novembre. — Pour la première fois de notre vie, une femme nous sépare pendant 30 heures. Cette femme est Mme de Châteauroux, qui fait faire à l’un de nous le voyage de Rouen tout seul, pour aller copier un paquet de ses lettres intimes, adressées à Richelieu, et faisant partie de la collection Leber.

En revenant, je rencontre, à la gare, Flaubert faisant la conduite à sa mère et à sa nièce qui vont passer l’hiver à Paris. Son roman carthaginois est à la moitié. Il me parle d’un travail qu’il lui a fallu faire d’abord, tout simplement pour se convaincre que cela était comme il le disait, puis il se plaint de l’absence de dictionnaire qui le force aux périphrases pour toutes les appellations, trouvant que