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Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/378

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ce sera d’être les romans les plus historiques de ce temps-ci, les romans qui fourniront le plus de faits et de vérités vraies à l’histoire morale de ce siècle.

18 janvier. — Murger est mourant d’une maladie où l’on tombe en morceaux, tout vivant. En voulant lui couper la moustache, l’autre jour, la lèvre est venue avec les poils… La dernière fois que j’ai vu Murger, au café Riche, il y a de cela un mois, il avait la mine d’un bien portant, était gai, heureux. Il venait d’avoir un acte joué avec succès au Palais-Royal. À propos de cette bluette, les journaux avaient plus parlé de lui qu’ils ne l’avaient fait au sujet de tous ses romans, et il nous disait que c’était trop bête de s’échigner à faire des livres dont on ne vous savait aucun gré, et qui ne vous rapportaient rien… et qu’il allait dorénavant faire du théâtre, et gagner de l’argent sans douleur.

Une mort, en y réfléchissant, qui a l’air d’une mort de l’Écriture, d’un châtiment divin contre la Bohème, contre cette vie en révolte avec l’hygiène du corps et de l’âme, et qui fait qu’à quarante-deux ans un homme s’en va de la vie, n’ayant plus assez de vitalité pour souffrir, et ne se plaignant que de l’odeur de viande pourrie qui est dans sa chambre — et qu’il ignore être la sienne.

Jeudi, janvier. — Nous sommes quinze cents dans la cour de l’hospice Dubois, respirant un brouillard glacé, et piétinant dans la boue. La chapelle est trop