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Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/397

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un coup de soleil qui tombe de haut et éclate en écharpe sur les personnages. Jamais la figure humaine vivante et respirante dans la lumière n’est venue sous des pinceaux comme là ; c’est sa coloration animée, c’est le reflet rayonnant qu’elle jette autour d’elle, c’est la lumière que la physionomie et la peau renvoient, c’est le plus divin trompe-l’œil sous le soleil. Et cela est fait, on ne sait comment. Le procédé est brouillé, indéchiffrable, mystérieux, magique et fantasque. La chair est peinte, les têtes sont modelées, dessinées, sorties de la toile avec une sorte de tatouage de couleurs, une mosaïque fondue, un fourmillement de touches qui semblent le grain et comme la palpitation de la peau au soleil : un prodigieux piétinement de coups de pinceau qui fait trembler la lumière sur ce canevas de touches au gros point.

C’est le soleil, c’est la vie, c’est la réalité, et cependant il y a dans cette toile un souffle de fantaisie, un sourire de poésie enchantée. Voyez-vous cet homme contre la muraille, à droite, coiffé d’un chapeau noir ? et des gens n’ont jamais trouvé de noblesse à Rembrandt ! Puis au second plan, dans ces quatre têtes, cette figure indéfinissable, au sourire errant sur les lèvres, cette figure au grand chapeau gris, mélange de gentilhomme et de bouffon, héros étrange d’une comédie du Ce que vous voudrez ; et à côté, cette espèce de gnome et de pitre idéal, qui semble glisser à son oreille les paroles des confidents comiques de Shakespeare… Shakespeare !