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Page:Goncourt - Journal, t2, 1891.djvu/51

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égarer mon chagrin. Il me semble que la tristesse se perd parmi tant de monde. Je me fais une fête d’être coudoyé par du peuple, comme on est roulé par les flots.

Samedi 16 août. — Ce matin, à dix heures, on sonne. J’entends un colloque à la porte entre la femme de ménage et le portier. La porte s’ouvre. Le portier entre tenant une lettre. Je prends la lettre ; elle porte le timbre de Lariboisière. Rose est morte ce matin à sept heures.

Pauvre fille ! C’est donc fini ! Je savais bien qu’elle était condamnée ; mais l’avoir vue jeudi, si vivante encore, presque heureuse, gaie… Et nous voilà tous les deux marchant dans le salon avec cette pensée que fait la mort des personnes : Nous ne la reverrons plus ! — une pensée machinale et qui se répète sans cesse au dedans de vous.

Quel vide ! quel trou dans notre intérieur ! Une habitude, une affection de vingt-cinq ans, une fille qui savait notre vie, ouvrait nos lettres en notre absence, à qui nous racontions nos affaires. Tout petit, j’avais joué au cerceau avec elle, et elle m’achetait, sur son argent, des chaussons aux pommes dans nos promenades. Elle attendait Edmond jusqu’au matin, pour lui ouvrir la porte de l’appartement, quand il allait, en cachette de ma mère, au bal de l’Opéra… Elle était la femme, la garde-malade admirable, dont ma mère, en mourant, mit les mains dans les nôtres… Elle avait les clefs