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Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/119

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sans un vivant. Et je vais toujours par le ciel qui fond, sur le chemin qui s’effondre, à travers toutes ces choses, ruinées, abandonnées et reflétées, avec la nuit noire, dans les flaques d’eau, si bien qu’à la fin il me vient l’impression d’être emporté, à bride abattue, dans un cataclysme.

Dimanche 30 octobre. — Devant mon fiacre, une file de petites voitures d’ambulance de l’armée, aux rideaux gris, surmontées du volètement des petits drapeaux à croix rouge.

J’entre une minute au concert Pasdeloup. La salle est comble, mais la musique n’a pas, dans le moment, le pouvoir de me faire oublier, le pouvoir d’apporter à ma pensée la rêverie. Je ne me sens point transporté dans la pastorale de Mozart, et je vais jouir du spectacle de la rue.

Le boulevard entier est une foire. On vend de tout sur le bitume du trottoir : des tricots de laine, du chocolat, des tranches de coco, des pastilles du sultan, des piles de Châtiments de Victor Hugo, des armes qui semblent provenir des accessoires d’un théâtre, des boîtes à surprise où l’on voit celui ou celle qu’on aime.

Sur le banc en face des Variétés, des pêcheurs improvisés débitent, à 2 francs pièce, des brochetons gros comme des goujons, pêchés on ne sait où.

Là-dedans, la foule insouciante d’un dimanche des temps ordinaires, qui marche à petits pas, musant et s’arrêtant à chaque étalage, au milieu des glapis-