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Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/121

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Des ouvriers, en chapeau rond, écrivent, au crayon, sur des portefeuilles crasseux, une liste que leur dicte un monsieur. J’entends parmi les noms, ceux de Blanqui, de Flourens, de Ledru-Rollin, de Mottu. « Ça va aller maintenant, » s’écrie un blousier, au milieu du silence consterné de mes voisins, et je tombe dans un groupe de femmes, parlant déjà peureusement du partage des biens.

À ce qu’il paraît, ainsi que me l’indiquaient les jambes sortant par les fenêtres de l’Hôtel de Ville, le gouvernement est renversé, la Commune établie, et la liste du monsieur de la place va être confirmée par le suffrage universel.

C’en est fait. On peut écrire à cette date : Finis Franciæ… Les cris : « Vive la Commune ! » éclatent sur toute la place, et de nouveaux bataillons se précipitent par la rue de Rivoli, suivis d’une voyoucratie vociférante et gesticulante… Dans ce moment une vieille dame qui me voit achever le journal du soir, me demande, ô ironie, si le cours des fonds publics est dans mon journal.

Après dîner, j’entends un homme du peuple dire à une marchande de tabac, chez laquelle je m’allume : « Est-il possible de se laisser rouler comme ça ? Vous allez voir un 93, qu’on va se pendre les uns les autres ! »

Le boulevard est tout noir. Les boutiques sont fermées. Le passant n’existe plus. Quelques rares groupes de gens, le doigt coupé par une ficelle au bout de laquelle il y a quelque mangeaille empa-