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Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/143

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s’avise pas d’en conter aux générations futures, sur l’héroïsme du Parisien en 1870. Tout son héroïsme aura consisté à manger du beurre fort dans ses haricots, et du rosbif de cheval au lieu de bœuf, et cela sans trop s’en apercevoir : le Parisien n’ayant guère le discernement de ce qu’il mange.

Dimanche 13 novembre. — Au milieu de tout ce qui resserre et menace la vie, dans ce moment, il y a une chose qui la soutient, la fouette, la fait presque aimer : c’est l’émotion. Passer sous ces coups de canon, se risquer au bout du bois de Boulogne, voir comme aujourd’hui la flamme sortir des maisons de Saint-Cloud, vivre dans ce continuel émoi d’une guerre vous entourant, vous touchant presque, frôler le danger, être toujours le cœur un peu battant vite : cela a sa douceur, et je sens, lorsque ce sera fini, qu’il succédera, à cette jouissance fiévreuse, de l’ennui bien plat, bien plat, bien plat.

 

Ce soir, dans la sonorité d’une nuit de gelée, s’entend sur tout le rempart, à chaque instant répété, en sa mélopée saisissante : « Sentinelles, prenez garde à vous ! » dans le bruit continu de coups de canon, pareils à des fracas et des écroulements de foudre en des montagnes lointaines.

Lundi 14 novembre. — Me promenant dans la ruine