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Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/174

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Mardi 13 décembre. — On parle, chez Brébant, des populations dévastatrices de la banlieue, campées dans les maisons. Du Mesnil raconte qu’un de ces réfugiés a fait de la maison qu’il habite, une resserre à chiffons. Un second a fait d’une autre maison une maison de prostitution, non clandestine, mais ignoblement publique, comme un gros 8 de l’avenue de Vincennes… Puis Renan se met à prédire de l’impossible, à prophétiser du chimérique.

Jeudi 15 décembre. — Je dînais, ce soir, chez Voisin. En mangeant, j’entends un monsieur, qui dit à l’attablé à côté de moi : « Je voudrais bien cependant avoir des nouvelles de ma pauvre femme. Concevez-vous, depuis septembre dernier… » Puis, le monsieur à la pauvre femme, qui a fini de dîner, s’en va. Au bout de quelques instants, un dîneur rentre, et s’attable à la table de mon voisin, qu’il connaît. Ils causent : « Figurez-vous, dit mon voisin au nouvel arrivant, que X*** vient à l’instant de se plaindre à moi de n’avoir pas de nouvelles de sa femme, je ne savais que lui répondre.

— Oui, — répond l’autre, entre deux bouchées, — elle est morte… à Arcachon.

— Parfaitement ; mais il n’en sait rien. »

N’est-ce pas affreux, dans ce moment, cette ignorance de la vie ou de la mort des gens qu’on aime ?