Aller au contenu

Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/198

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

semblables aux hurlements d’un grand vent d’automne. Cela, depuis hier, paraît si naturel à la population, que pas un ne s’en occupe, et que, dans le jardin à côté du mien, deux petits enfants jouent, s’arrêtant à chaque éclat, et disant de leur voix, encore à demi bégayante : « Elle éclate ! » puis reprennent tranquillement leurs jeux.

Les obus commencent à tomber, rue Boileau, rue La Fontaine.

Sur le seuil des portes, les femmes regardent passer, moitié atterrées, moitié curieuses, les ambulanciers à la blouse blanche, à la croix rouge sur le bras, portant des brancards, des matelas, des oreillers.

Samedi 7 janvier. — Les souffrances de Paris pendant le siège : une plaisanterie pendant deux mois. Au troisième, la plaisanterie a tourné au sérieux, à la privation. Aujourd’hui c’est fini de rire, et l’on marche à grands pas à la famine, ou tout au moins pour le moment à une gastrite générale. La portion de cheval, pesant trente-trois centigrammes, y compris les os, donnée pour la nourriture de deux personnes, pendant trois jours, c’est le déjeuner d’un appétit ordinaire. À défaut de viande, pas possible de se rejeter sur les légumes : un petit navet se vend huit sous et il faut donner sept francs d’un litre d’oignons. Du beurre, on n’en parle plus, et même la graisse qui n’est pas de la chandelle ou du cambouis à graisser les roues, a disparu. Enfin les deux