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Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/204

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Tout le monde a l’air de vivre de sa vie ordinaire, et des cafetiers font remettre, avec le plus admirable sang-froid, les glaces cassées par les détonations d’obus. Seulement, au milieu des allants et venants, l’on rencontre, par-ci, par-là, un monsieur emportant sa pendule entre ses bras, et les rues sont pleines de voitures à bras, traînant vers le centre de la ville, de pauvres mobiliers, dans le pêle-mêle desquels se trouve quelquefois un vieil impotent, qui ne peut marcher.

Les soupiraux des caves sont bouchés. Un boutiquier s’est fait un ingénieux blindage avec un étagement de planches, garnies de sacs de terre, qui va jusqu’au premier étage de la maison. On dépave la place du Panthéon. Un obus a enlevé le chapiteau ionien d’une des colonnes de l’École de Droit. Dans la rue Saint-Jacques, des murs troués, percés, d’où se détachent, à tout moment, des morceaux de plâtre. D’énormes blocs de pierre, un morceau de l’entablement de la Sorbonne fait contre le vieil édifice une barricade. Mais où le bombardement parle vraiment aux yeux, c’est sur le boulevard Saint-Michel, où toutes les maisons faisant angle avec les rues parallèles aux Thermes de Julien, ont été écornées par les éclats. Au coin de la rue Soufflot, le balcon de l’appartement du premier, arraché de la pierre, pend dans le vide, menaçant.

 

De Passy à Auteuil, la route neigeuse est rosée du reflet des incendies de Saint-Cloud.