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Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/207

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tristes détails sur la conduite d’officiers de mobiles. Il a un beau-frère qui possède une très belle propriété à Neuilly. Il tomba dans cette propriété des soldats et des officiers, parmi lesquels était M. X***. Ces messieurs ne se contentèrent pas de faire du feu au milieu des chambres, ils emportèrent, en partant, vingt-cinq paires de draps qui leur avaient été prêtés, et M. X*** fit enlever dans la serre quinze palmiers, qu’il envoya, pour son jour de l’an, à une cocotte. Sur la plainte de M. Dumas, un ordre de l’État-Major vient de faire rendre draps et palmiers.

N’ayant pas le courage d’aller à Paris, et n’ayant rien à manger, je tue un merle dans le jardin pour mon dîner.

Le merle jeté, les ailes raides, sur ma table — je ne suis pourtant pas métempsycosiste — il me vient, je ne sais pourquoi et comment, la pensée de mon frère, et l’association de son souvenir avec l’oiseau mort.

Je me rappelle l’arrivée de l’oiseau, tous les soirs, au jour tombant, et le sifflement aigu par lequel il semblait vouloir s’annoncer, et les deux ou trois traversées qu’il faisait du jardin, de son joli vol rapide et balancé. Je me rappelle sa pause de quelques secondes sur une branche, toujours la même, une branche d’un sycomore, tout proche de la maison, et du haut de laquelle il la regardait, immobile et énigmatique… puis tout à coup son évanouissement dans l’ombre et la nuit.

Il s’est glissé en moi, alors, comme une croyance superstitieuse, qu’un peu de mon frère avait passé