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Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/215

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Je retrouve dans Paris, sur le boulevard, le découragement navré d’une grande nation, qui, par ses efforts, sa résignation, son moral, a beaucoup fait pour se sauver, et se sent perdue par l’inintelligence militaire.

Je dîne chez Péters, à côté de trois éclaireurs de Franchetti. C’est la désespérance la plus complète, sous la forme ironique, la forme particulière au désespoir français. « Nous y sommes ! nous y sommes ! » Et ils parlent de l’armée de Paris, ne voulant plus se battre, du noyau héroïque qui la soutenait, tombé à Champigny, à Montretout… et toujours et toujours de l’incapacité des chefs.

Samedi 21 janvier. — Je suis frappé, frappé plus que jamais, du silence de mort, que fait un désastre dans une grande ville. Aujourd’hui on n’entend plus vivre Paris.

Toutes les figures ont l’air de figures de malades, de convalescents. On n’aperçoit que des visages maigres, tirés, hâves, on ne voit que des pâleurs jaunes, semblables à de la graisse de cheval.

En omnibus, j’ai devant moi deux femmes en grand deuil : la mère et la fille. À toute minute, les gants de laine noire de la mère ont des crispations nerveuses, et se portent machinalement à ses yeux rouges, qui ne peuvent plus pleurer, tandis qu’une larme, lente à couler, se sèche, de temps en temps, sur la cernée de l’œil levé au ciel, de la fille.