Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/235

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et une trentaine de volumes sont culbutés sur des planches en bois blanc, posées à la hâte.

Théo est là, en bonnet rouge, à cornes vénitiennes, dans un veston de velours, autrefois fait pour la petite tenue de Saint-Gratien, mais aujourd’hui si taché, si graisseux, qu’il semble la veste d’un cuisinier napolitain. Et le maître opulent de l’écriture et du dire vous apparaît, comme un doge dans la débine, comme un pauvre et mélancolique Marino Faliero, joué au théâtre Saint-Marcel.

Pendant qu’il parlait, qu’il parlait, comme devait parler Rabelais, je songeais à l’injustice de la rémunération dans l’art. Je pensais au somptueux et abominable mobilier de Ponson du Terrail, que j’avais vu déménager ce matin, de la rue Vivienne, par suite du décès de ce gagneur de 70 000 francs par an, dans un endroit quelconque, durant le siège.

Jeudi 23 février. — Bien des mois se sont passés, sans que mes doigts aient dérangé de sa case, un bouquin des quais. Ces jours-ci, pour la première fois, j’ai acheté un volume avec l’intention, et je crois, la force d’intention nécessaire pour le lire.

Vendredi 24 février. — Aujourd’hui m’est revenu comme un goût de littérature. J’ai été mordu, ce matin, de l’envie d’écrire : La fille Élisa, ce livre que nous devions écrire, lui et moi, après Madame