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Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/238

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de Paris, saccagée par les mobiles, affamée, bombardée, et elle aura encore la malechance de l’occupation prussienne.

Ce matin, Paris n’a plus sa grande voix bourdonnante, et le silence inquiétant des heures mauvaises est tel, que nous entendons sonner onze heures, à l’église de Boulogne.

L’horizon est comme vide, comme inhabité. On n’a encore vu que quelques uhlans, fouillant, avec toutes sortes de précautions, le bois de Boulogne.

Puis, dans ce grand silence de tout l’espace, commence à s’élever sourdement le bruit mat et lointain des tambours prussiens, qui se rapprochent. Je ne sais, mais ma porte s’ouvrant et donnant passage à ces Allemands, les maîtres de mon foyer pour quelques jours, cette perspective me fait souffrir, ainsi que d’un mal physique.

C’est maintenant comme un tonnerre, le roulement des voitures et des équipages militaires prussiens. De mon jardin, à travers la grille, j’aperçois deux casques dorés s’arrêter devant ma maison, et en la regardant, un moment hacher de la paille… ils passent.

Jamais les heures ne m’ont paru si longues, des heures où il est impossible de fixer sa pensée sur quoi que ce soit, des heures où il n’est pas possible de rester, une minute, en place. La retraite prussienne a sonné, et il n’est apparu encore aucun Prussien, — nous n’en aurons sans doute que demain.

Je me glisse, dans la nuit, à Auteuil, où il n’y a