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Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/260

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tir incessant, dont la fumée se rabattant sur les maisons de la plaine, et les montrant toutes grises, fait du coteau, dans l’indécision et le vague, comme l’étagement d’une ville d’ardoise, d’où s’élanceraient des feux et des détonations de cratères…

Au milieu de cette rage de l’artillerie, l’habitude est tellement prise de vivre au bruit du canon, parmi les crachats de la fonte, et chacun a fait conquête d’une telle insouciance, que je vois des jardiniers gazonner tranquillement, à côté d’ouvriers reposant des grillages, avec la quiétude des printemps passés.

C’est insupportable, cette incertitude, devant une action que vous avez sous les yeux, que vous suivez avec une longue-vue, et dont vous ne pouvez vous rendre compte.

La réquisition est en train de passer des caisses publiques aux caisses des marchands. Cela a commencé hier à Passy.

Dehors, sur mon chemin, un tel abandon heureux des allants et des venants, qu’on doute de tout ce canon entendu… Devant la Manutention, je vois rentrer le 181e bataillon de la garde nationale. Les hommes sont pâles, sérieux.

On ne sait rien, à Paris, de l’issue de la journée. Les connaissances, les groupes, les journaux sont dans l’ignorance de la vérité. Soudain, le boulevard retentit de cette nouvelle à sensation, jetée à tous les échos de Paris, par les aboyeurs du « Journal de la Montagne » : Prise du Mont-Valérien. Je flaire un