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Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/277

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très rapprochés. Un cri s’élève dans la villa : « Tout le monde dans les caves ! » Et nous voilà, comme nos voisins, dans la cave. Des détonations effroyables. C’est le Mont-Valérien qui nous lance un obus par minute. Un désagréable sentiment d’anxiété, qui, à chaque coup de canon, vous tient pendant les quelques secondes du trajet, dans la crainte de le sentir sur sa maison, sur soi.

Tout à coup une explosion terrible. Pélagie, qui est en train de fagoter, dans l’autre cave, un genou en terre, dans l’ébranlement de la maison tombe par terre. Nous attendons peureusement une chute, une dégringolade de pierres. Rien. J’aventure le nez par une porte entre-bâillée… Rien… Et cela reprend, et continue à peu près deux heures, autour de nous, en nous enveloppant du frôlement des éclats. Encore un éclat qui entre-choque le zinc du toit. Un sentiment de lâcheté, que je ne me suis jamais senti, du temps des Prussiens. Le physique est tout à fait bas chez moi. J’ai pris le parti de faire mettre à terre un matelas, et là-dessus couché, je demeure dans un état d’engourdissement ensommeillé, qui ne perçoit que très vaguement la canonnade et la mort. Bientôt un orage terrible se mêle au bombardement, et les déchirements de la foudre et des obus, me donnent, au fond de ma cave, la sensation d’une fin du monde. Enfin, vers trois heures, l’orage se dissipe et le tir commence à se régler, et les obus à tomber, en avant de moi, sur le rempart, où les fédérés réinstallent des pièces de siège.