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Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/297

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plagiat, un plagiat littéraire, qui, avec l’aide de détestables instincts, est devenu à la fin un tempérament. En sorte que l’Octave de la fiction a vraiment fait, comme dans une matrice humaine, des tas de petits Octaves, en chair et en os.

Fatigué du spectacle de la rue, de la vue des gardes nationaux toujours saouls, de la canaille en plein épanouissement, je me sauve au Jardin des Plantes. J’ai besoin de voir des fleurs et d’élégantes bêtes. L’aide-jardinier, qui m’introduit dans les serres, me dit : « Vous venez voir nos malades ? » Il fait allusion à tous ces arbres frileux, qu’a tués le froid, entré par les vitrages, avec les obus prussiens.

Samedi 29 avril. — Deux histoires vraies de l’ambulance des Champs-Élysées.

Un garde national est apporté blessé. La blessure est intéressante. C’est un bouton d’obus, un morceau de fonte, gros comme une pièce de quarante sous, qui est entré à la tête du fémur, est descendu le long de la cuisse, a contourné le mollet et s’est logé près de la cheville. Il agonise au bout de trois jours. Sa femme a été prévenue. Elle est là, le regardant mourir, muette, sans une parole. Une femme de l’Œuvre qui passe, entreprend de la consoler : « Ma pauvre femme… » L’épouse l’interrompt : « Il y a dix-huit ans que nous étions ensemble, et nous ne pouvions pas nous souffrir, » et la voici qui entame un chapitre de griefs interminables contre l’agonisant. La