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Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/305

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bras… on leur ferait pis, on leur prendrait leur bourse dans la poche, qu’ils seraient ce qu’ils sont, les plus lâches êtres moraux que j’aie vus.

Ce soir, dans les groupes, les communards se montrent pleins d’ironie à l’endroit de la charité. Ils rejettent théoriquement, avec dédain, les secours des bureaux de bienfaisance. L’un proclame que la société doit des rentes à tous les hommes, en vertu de l’aphorisme : « Je vis, donc je dois exister ! » Et le refrain général est : « Nous ne voulons plus de riches ! »

Dimanche 7 mai. — Aujourd’hui, dans ces cruels jours, je repasse ma triste vie et les jours de douleur qui la composent. Je pense à ce temps de collège plus dur pour moi, que pour d’autres, par un sentiment d’indépendance qui, toutes ces années, m’a fait battre avec de plus forts que moi, ou m’a fait vivre dans cette espèce de quarantaine qu’impose la tyrannie des tyrans en herbe aux lâchetés des hommes-enfants. Je songe à ma vocation de peintre, à ma vocation d’élève de l’école des chartes, brisées plus tard par la volonté de ma mère. Je me retrouve dans une vie d’étudiant, de clerc d’avoué sans le sou, condamné à de basses amours, mal à l’aise dans un milieu de camarades et d’amis, bas, vulgaires, bourgeois, ne comprenant rien aux aspirations artistiques et littéraires qui me tourmentaient, et m’en plaisantant avec la raison mûre de vieux parents.