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Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/367

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velle me renfonce, toute la soirée, dans le passé de la famille, dans le souvenir de notre jeunesse, écoulée ensemble. Je me rappelle quand la nourrice, ma vieille nourrice, venait nous chercher le dimanche, elle chez Cousinot, moi chez M. Goubaux, je me rappelle quelles promenades mes retenues lui faisaient faire sur la butte Montmartre, et j’ai souvenir comme toujours la nourrice, pour m’éviter une gronderie de mon père, mettait le retard sur le compte de la pauvre fille. Je la retrouve, quand nous allions en soirée chez les rigides demoiselles de Villedeuil, sévèrement passée en revue par mon père, dans sa toilette, qui fut toujours un peu à la diable. Je nous revois, la première année de son mariage, nous battant, comme des enfants que nous étions, aussitôt que son mari avait le dos tourné. Et toute cette évocation me fait penser à tous ceux qu’elle me rappelle, et qui ne sont plus.

Lundi 9 octobre. — Les cérémonies mortuaires des gens que j’aime, me donnent une absence de l’existence qui n’est pas sans charme. Il me semble que le restant de ma vie demi-morte se perd et s’efface dans des bruits de cloche, des psalmodies, des murmures d’orgue, des pleurs de femmes, des bruits douloureux et doux à la fois.

Pauvre salle à manger, si riante, si proprette, et dont ma cousine voulait le parquet si luisant ; aujourd’hui elle était toute boueuse des semelles des porteurs de sa bière.