Aller au contenu

Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/44

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dance de vos paysans allemands, je puis dire que moi, qui ai assisté à des chasses dans le pays de Bade, on les envoie ramasser le gibier, avec des coups de pied dans le cul ! »

« Eh bien, dit Renan, dérayant complètement de sa thèse, j’aime mieux les paysans à qui l’on donne des coups de pied dans le cul, que des paysans, comme les nôtres, dont le suffrage universel a fait nos maîtres, des paysans, quoi, l’élément inférieur de la civilisation, qui nous ont imposé, nous ont fait subir, vingt ans, ce gouvernement. »

Berthelot continue ses révélations désolantes, au bout desquelles je m’écrie :

— « Alors tout est fini, il ne nous reste plus qu’à élever une génération pour la vengeance ! »

— « Non, non, crie Renan qui s’est levé, la figure toute rouge, non pas la vengeance, périsse la France, périsse la Patrie, il y a au-dessus le royaume du Devoir, de la Raison… »

Non, non, hurle toute la table, il n’y a rien au-dessus de la Patrie. « Non, gueule encore plus fort Saint-Victor, tout à fait en colère : n’esthétisons pas, ne byzantinons plus, f…, il n’y a pas de chose au-dessus de la Patrie ! »

Renan s’est levé, et se promène autour de la table, la marche mal équilibrée, ses petits bras battant l’air, citant à haute voix des fragments d’Écriture sainte, en disant que tout est là.

Puis il se rapproche de la fenêtre, sous laquelle passe le va-et-vient insouciant de Paris, et me dit :