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Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/48

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Les pelouses du parc de Saint-Cloud disparaissent sous les pantalons rouges de la ligne qui s’exerce, et l’on peut se croire au milieu de la guerre, à se voir entouré de ces hommes répandus sous les grands arbres, courant au pas gymnastique, agenouillés sur l’herbe, et faisant à blanc aujourd’hui, le simulacre de la fusillade qu’ils auront à faire demain.

Au petit café, où, il n’y a pas encore trois mois, j’étais assis à côté de celui qui est mort, je vois passer devant moi, sur des chevaux fourbus, des fantômes de dragons tout loqueteux, avec des casques bosselés, des tronçons de carabine, et des poules de la maraude, se débattant dans les filets, attachés à leurs selles.

Je monte au fort en terre, que l’on construit à Montretout. Au milieu de ceps, tout chargés de raisins noirs, j’aperçois la cravate blanche du vieux Blaisot, du doyen des marchands d’estampes, du descendant du libraire ayant son étalage, pendant le XVIIIe siècle, au bas du grand escalier de Versailles, du dénicheur de goût, auquel mon frère et moi, avons acheté de si beaux dessins de l’école française. Il est en train d’inspecter son petit carré de vigne, en regardant de travers le fort qui l’empêchera de bâtir la maison, où le vieillard qui a passé tant d’heures dans l’air vicié des salles de vente, espérait faire respirer à sa vieillesse l’air vivifiant de la haute colline.

Le fort, il est encore dans la tête de l’officier du génie chargé de le construire. On entend des manœuvriers gouailleurs dire : « Le fort, il sera fini dans