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Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/65

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vais, une foule agitée, houleuse, cherchant du désordre et des victimes, et d’où sort, à tout moment, le cri : « Arrêtez-le ! » et aussitôt sur la piste d’un pauvre diable se sauvant, la ruée brutale d’un groupe d’hommes qui se précipite à travers les promeneurs, avec des violences prêtes à le déchirer.

Mardi 20 septembre. — Je descends à Batignolles, et au milieu des boutiques, pleines de produits et de choses de commerces bizarres, mon œil s’arrête sur une boutique aux volets fermés, et à la porte ouverte, sur laquelle il y a écrit, en grosses lettres : Ambulance, entre deux croix rouges.

Dans l’intérieur de la boutique, un homme range des bandes sur une petite table, et aux pieds des lits, des femmes font de la charpie. Cet homme, ces femmes, ces lits vides, attendant l’amputation, la mort, enfin cette mise en scène et cette répétition des choses douloureuses qui vont se passer demain, dans ce local, cela frappe plus que s’il y avait des blessés dans ces lits.

Me voilà devant sa tombe. Il y a aujourd’hui trois mois, trois mois qu’il est mort. Accoudé sur la grille, pendant que je m’enfonce dans le passé à deux, déjà si lointain, pendant qu’en toussant, je pense que cette bronchite dont je souffre, pourrait bien nous faire retrouver assez vite, l’entretien de ma pensée avec ce qui reste de lui sous la pierre est, à chaque minute, interrompu et dérangé par les commandements de