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Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/88

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entre deux crachoirs, liés avec une ficelle, — c’est elle qui nous le dit, — les dernières fraises de son jardinet de Nogent.

Ce soir, une voix dans l’ombre m’appelle. C’est Pouthier (l’Anatole de Manette Salomon) que je n’ai pas vu depuis bien des mois. Nous entrons dans un café, pour parler de mon frère, dont il a appris la mort en province. Il est toujours aussi misérable, et le pauvre diable sollicite son admission dans la garde nationale, pour gagner 30 sous par jour.

Samedi 8 octobre. — Dans les rues, on rencontre, avec une croix rouge sur le cœur, de grasses lorettes hors d’âge, qui se préparent, toutes éjouies, à tripoter des blessés avec des mains sensuelles, et à ramasser de l’amour parmi les amputations.

J’entrevois, ce soir, pour la première fois, Louis Blanc, que son frère amène dîner à ma table, chez Péters. Une tête qui est un mélange de cabotin et de séminariste méridional, au-dessus d’une taille d’une petitesse ridicule. Chez cet homme glabre, il y a quelque chose d’horrible : l’association sur sa face de l’enfance et de la sénilité. Ce sont les joues roses d’un bébé, avec le charbonné de l’intérieur des narines, du tour de la bouche des sexagénaires.

Lundi 10 octobre. — Ce matin, je vais chercher une carte pour le rationnement de la viande. Il me