Page:Goncourt - Journal, t5, 1891.djvu/137

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maintenant des lambris dorés, en quelque coin ministériel. Non, le portier me laisse monter, et la petite bonne m’ouvre.

Me voici dans la salle à manger, aux vulgaires carafons d’eau-de-vie, aux corbeilles de pommes ridées, au milieu de la desserte presque ouvrière du dîner du dimanche.

Autour de la table, dans le brouillard des cigarettes, on aperçoit la grosse face de Prarond ; la mine superbe du député-caricaturiste Buisson, le profil du peintre Toulmouche, une barbe chinchilla que je ne connais pas, et que je vois toujours là, et trônant au centre, le bon et affaissé Chennevières, un bonnet de coton enfoncé jusqu’aux sourcils, et le menton touchant la table. L’intérieur est resté provincial, normand, chardinesque, et les grandeurs n’ont rien changé au train de la maison.

Et quand on passe dans la chambre à lit, qui sert de petit salon, on trouve telle qu’elle était autrefois, la simple madame de Chennevières, et Bébé, emplissant plus que jamais de son bruit, de son mouvement, du caprice tyrannique, de son remue-ménage, le milieu bourgeois et familieux.

Quelques billets de théâtre, traînant sur la table, et des papiers à en-tête ministériel, mêlés à des croquis de Buisson, représentant Bébé avec un corps de petite chatte, de petite chienne, de poulette : c’est tout ce qu’il y a de changé, c’est tout ce qu’il y a de nouveau dans la maison.