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Page:Goncourt - Journal, t5, 1891.djvu/159

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sement l’âme, avec leurs voix. Leurs chants, peu à peu, je ne sais comment, ont fait renaître le souvenir, et m’ont rappelé que là, où j’allais passer aujourd’hui, j’y avais passé, il y a vingt ans, avec mon frère.

Alors pendant que, la tête basse, les yeux roulant des larmes, je tracassais, de mon bâton, les cailloux, j’entendais de Béhaine, éclater en un long sanglot. Ces chants, ces modulations, ces plaintes musicales avaient fait, tout à coup, remonter à la surface de nos cœurs saignants et vides, des douleurs enterrées, — lui, son Armand, moi, mon Jules, — et tous deux, nous repleurions nos bien-aimés.

Dimanche 23 août. — Sur le bateau de Romanshorn à Lindau, j’étudiais une Allemande dînant, dont le profil, à tout moment, se penchait, de bas en haut, vers un voisin, en de bestiales coquetteries. C’était une créature blonde et bovine, avec des tons d’ambre dans le lait de sa chair, des sourcils fauves, de longs cils roux, faisant comme un battement d’ailes de guêpes, au-dessus de la pâmoison de son regard. J’ai vu rarement un appel à la braguette, avec une telle cochonnerie de l’œil, une telle appétence suceuse des lèvres.

Le sensualisme de la femme allemande a quelque chose, en style noble, du rut de Pasiphaé.