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Page:Goncourt - Journal, t5, 1891.djvu/165

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sur une eau morte, dans un paysage de l’autre monde.

Mardi 29 septembre. — La vieille Marguerite, la cuisinière épiscopale de mon oncle de Neufchâteau, est ici, et, ses vieux doigts de soixante-dix ans, font réapparaître, pour la dernière fois, les fricassées de poulets au beurre d’écrevisse, les salmis de bécasses, parfumés de baies de genièvre, tous ces fricots sublimes, que n’a jamais goûtés un Parisien.

Je songe, en dégustant ces succulences, avec le respect qu’on a pour ces choses d’art, quelle nation nous avons été, quel paradis est la France, et quels sauvages sont nos vainqueurs.

Il y a vraiment dans cette vieille cuisine provinciale de la France, comme l’exquisité d’une civilisation, que les nations nouvelles ne referont plus !

Jeudi 1er octobre. — Il y a des jours où la fatigue, au sortir du lit, est écrasante, où ma vie se traîne comme dans une courbature. Cette fatigue-là, serait-ce la vieillesse ? Il me semble aussi parfois que je n’ai plus l’acuité humaine des perceptions, et que la somnolence des Limbes m’envahit. Ces impressions, je les éprouve au milieu d’un grand vent d’automne, et des grondements d’une meute, qui digère, colère,